Mort aux rats
par Frédéric Benhaim
Tout autour des vitrines, des illustrations de rats, de pigeons, de souris, d’insectes. Un vrai livre d’images, pour vous montrer que la ville ne vous appartient pas. L’homme n’y est pas seul. Il y a aussi cet adversaire intime, la vermine, montrée en catalogue sur le mur aux yeux de tous les passants. Cet ennemi qui envahit vos placards, qui vous pique le soir venu au plus profond de votre lit, qui vient manger votre nourriture, qui détale sur des pattes agiles, d’un côté à l’autre de la baignoir, rapide comme l’éclair, précédant l’eau de la douche qui veut l’emporter. Soyez prêt, car les nuisibles ne pardonnent pas : chaque miette, chaque goutte de graisse, chaque négligence, la vôtre ou celle des voisins, sera leur festin. Il faut vous prémunir, mais hélas, ici, on ne vient que lorsqu’il est trop tard. J’ai parlé de leur encadrement ; dans les vitrines, des produits, de l’herbe plastique, et des animaux en spécimen. Tous ceux que vous voulez combattre. Pour prévenir, pour guérir, pour donner envie de trouver des solutions, il faut informer le citoyen, le consommateur, le parent, le passant, le badaud.
Les célibataires vivent ça comme une intrusion. Pourtant, ils étaient déjà là. La cinquième colonne de votre tuyauterie se préparait à jaillir pour vous surprendre, toujours au pire moment, jamais lorsque vous pourriez l’imaginer. Les travaux chez vos voisins, les inondations, ça vous ne l’avez peut-être pas noté, mais lorsque ça arrive, vous comprenez. La vie contemporaine est abritée de tout, presque. Elle ne vous protège pas des microbes. Elle ne vous protège pas de la mort. Certainement pas de la vermine : c’est comme un messager. Face à ces cohortes de cafards, vous n’êtes rien. Tuez un seul, une centaine d’autres arrivera, peut-être même du ventre de la bête qui agonise sous votre semelle.
Alors que faire ? Il y a le magasin. La patronne est une dame charmante, coquette, couverte de bijoux en or et de couleurs (rouge à lèvres, ongles vernis en rouge, petits pulls créateur). Son mari est bien habillé : costume de moyenne gamme, des poils sur les doigts qu’il fait épiler (ça rappelle les poils de souris). Ici, on ne fait pas de miracles, mais on peut faire quelque chose. Mort aux rats, souricide, insecticide, pièges divers, tout ce que vous voudrez. Choisissez la mort de l’animal selon ce qui vous arrange, selon la configuration de votre intérieur. Le mieux, enfin ce qu’on fait de nos jours, c’est le coagulant. Le rat meurt dehors, ça permet d’éviter les odeurs. Pensez à bien nettoyer. Attention aux enfants et aux animaux de compagnie. Si vous préférez le piège, il faudra laver le sol, et faire attention à vos pieds. De nos jours, on ne conseille pas forcément, car finir aux urgences sous le regard rieur de la souris qui vous poursuit partout, que vous croyez voir de toutes parts, cela n’est pas drôle. La pâte, l’avoine décortiquée. Appâts prêts à l’emploi. D’ailleurs, il y a plus ou moins de travail, pour vous. Ca vient déjà prêt, dans certains cas, dans d’autres, il faut bricoler un peu, composer. Les emballages ne sont qu’images d’animaux, effrayantes, dégoûtantes. Ne venez pas avec votre sandwich, de toute façon, ici, on voit tellement de choses que la nourriture sur le lieu de travail, on n’y tient pas. Les animaux ne réagissent pas de la même façon, parfois il faut différencier. Intérieur, extérieur. Espèces différentes, même famille ? On ne tue pas un mulot comme on tue un rat. C’est pas pareil.
Oui, les produits sont nocifs, et polluants. Mais comme par exception, face à la bête, tous les moyens sont bons. A la limite, plus c’est toxique, mieux c’est. A bestiole mythique, réponse magique. Magie noire, magie blanche. Si ça fait mal, tant mieux. Si ça salit les rivières, tant pis. On est responsable, mais dans ces cas-là…
Tout microbiens qu’ils soient, ces envahisseurs ne sont pas tous aussi dangereux pour la santé. Le pigeon, le rat, la punaise sont de véritables risques. Mais la mite ? Damnation des laines et terreur des pots de riz, au fond ça n’est pas si grave que cela. Pourtant, pour le client du magasin de mort aux rats, pour la victime d’infestation, c’est la même chose. C’est encore la menace intime, le pillage de ses biens, l’invasion biblique, le criquet pélerin des appartements, il nous rend fou. Exaspération. Colère. Vous êtes-vous déjà battu contre les mites ? Avez-vous essayé de tuer les insectes au point de ne plus pouvoir en dormir ? La ruine du sommeil. Les mites virevoltent nonchalamment dans les airs, invitation à la mise à mort, mais annoncement d’une défaite. Vous n’aurez pas le dernier mot ! Contre ça, on a des fumigènes, pour les cas extrêmes. Si on peut éviter, il vaut mieux : repartez avec de la naphtaline et des boules de cèdres, lavez tout, usez de boîtes et d’emballages plastiques. Armure, remparts de vos biens textiles. On a maté la nature, elle nous rattrape en nous rendant fou. Combien de gens normaux, quasi hystériques, on a vu débarquer, parcourir les rayons, les trois rayons de la boutique, comme s’ils allaient tuer quelqu’un, non, un insecte, un rat… ? L’homme tueur est en chacun de nous, le chasseur de lions, qui enrage et qui veut éliminer. Sur les paquets, la mort est partout : avertissements, noir sur orange, du danger des substances ; garantie de mort certaine ; têtes de mort. Mais face au rat, il y a aussi la peur, la peur au ventre, le Mal, incarné, la Peste, tout ça. Qui voudrait côtoyer les rats—la pire espèce—? Qui ne craint un peu, au fond, leur queue, leur poil noir, leur regard maléfique, enfin supposé tel ? Dans les films et les situations grotesques, ce sont les dames qui crient, mais au fond, le cri des hommes est le même, intérieur, caché. Quel courage pour ces hommes qui jadis, les tuaient pour gagner leur vie, parcourant nos villes avec des rats morts attachés à des bâtons ! Comme on voudrait que le joueur de pipe de Hamelin soit vrai (enfin pour les rats). Comme on voudrait y échapper.
Saint Georges aurait-il terrassé le rat ?
Paris, le 25 février 2013.
A Nicolas Benhaim (Saint Georges).