La gaufrerie

par Frédéric Benhaim

La guerre de la gaufre est lancée. Dans une rue voisine, il y en a une autre, qui vend des liégeoises dorées au caramel. 2€50 au contre 3, 3€50 contre 4, iront-ils vraiment comparer ? A Paris il n’y a pas vraiment de marché de Noël, pas vraiment de tradition et les décorations sont épouvantables, ou au mieux étranges.  On n’est pas en Alsace ! Mais maintenant, on aura les gaufriers, pardon, les gaufreries, enfin, les gaufres. La Belgique a du bon, pense le promeneur ou l’acheteur de Noël, le gamin en vacances ou qui attend de l’être, la vieille un peu gourmande. La gaufre est chaude et dans ce froid, cela fait du bien. Elle est calorifique. L’hiver le requiert. Elle est craquante, et nos dents ne demandent qu’à retourner chez le dentiste.

Goûtez les saveurs ; les parfums. La gaufre, c’est comme tout, ça innove. Fourée au chocolat, cannelle, miel, cardamome. Brevetée. En Belgique on a poussé les choses. Le hamburger, les avions, les voitures évoluent…pourquoi pas les gaufres ?! La prochaine expansion industrielle des Belges sera peut-être celle des gaufres… En tout cas la World Gaufre, la Global Gaufre, la World Waffle est parmi nous. Adieu ! crêpes, churros, marrons glacés. Arrière, Bretons, Charlemagne est de retour ! Fini ces goûters de rue que nous remettent des mains suspectes (et l’hygiène dans tous ces bouibouis ?). La gaufre est hygiénique ; il n’y a qu’à voir les carrés du gaufrier ; ils nous inspirent confiance. Elle est médicale. On dirait un appareil de bloc opératoire. Un dessin industriel. Une utopie de Mondrian. Un morceau de machine à café contemporaine. D’ailleurs le gaufrier est tout technique, avec ses rangées et sa pince associée. On parle de conquête du monde pour la gaufre belge. Chine ! Afrique ! Amérique ! L’Amérique nord-américaine ne connaît que la gaufre faussement belge, la rococo, la Belgian Waffle. Opportunité… Mais ici on est loin de tout ça. Le puriste vous l’expliquera : il y a la gaudre de Bruxelles et celle de Liège. L’une est plus diététique que l’autre (toutes choses relatives)—mais ce n’est pas celle que l’on vend. Et malgré les puristes, on vient de lancer la gaufre en sandwich, avec du fromage de chèvre, du jambon et tutti quanti, comme les croissants sandwich. Ca semble marcher.

Ici, uniquement du sucré. On choisit depuis la rue, devant une vitrine où trônent gaufres et gaufrier, condiments et parfums. Tout est fait devant vous. On paie à l’intérieur, mais la façade est ouverte, on peut discuter depuis la rue ; tout est naturel, tout est fluide.

Il y a un vendeur, et un patron. Le patron parle, le vendeur sert, au fond, on ne sait pas trop bien qui vend : disons qu’ils sont deux. Avec la gaufre, un petit carton car c’est chaud, et une serviette qui colle à la pâte. Ca laisse du sucre chaud sur les doigts : gardez votre serviette, ou prenez-en une autre. Le service est là, la parole est libre ; on se croirait chez le boulanger de quartier. On veut durer.