Le magasin de disques
Le disque vinyl est de retour. Des mixeurs aux mélomanes, une clientèle nouvelle et comme ressuscitée se presse à la porte du magasin de disques.
On voit même quelques collectionneurs, architectes de leur cabinet de curiosités, adjoindre aux squelettes et empaillés un vieux disque des Beatles ou d’une star de reggae trop méconnue. L’univers de la décoration, du hip, de la mode et du vieux hit nostalgique a rencontré les fêtards, les artistes du son et les jazzolâtres.
L’aspect extérieur du magasin est un peu « roots »; un peu foutrac, un peu jamaïco-brooklyn. Couleurs un peu délavées, vert et rouge version drapeau portugais. Enseigne façon Motown. DISQUES. On veut cet air, on voudrait peindre la devanture avec du jean. Ca doit donner une distinction bohème, le nouveau chic des quartiers huppés, qui ne savent plus à quelle classe ils appartiennent. Ces Cendrillon, dont les bobos sont les fées, usines, friches, se désenfument, verdissent, et blanchissent à vue d’œil. Il doit rester quelques hommes à casquettes pour que l’honneur soit sauf.
Mais quittons les dilemmes du progressiste contemporain. Revenons à la boutique, où sur le présentoir, Callas (enr. 1964) vient de succéder à Mozart par un chanteur seventies, trop méconnu (lui aussi). Le bon goût aujourd’hui, par distinction perpetuelle, guerre de mouvement du connu et de l’inconnu, est-il en définitive du côté de l’inconnu ? l’aiguille hésitante de la boussole du chic doit se situer avec précision entre l’anecdotique et l’universel. Tout repose sur les pionniers, les coureurs des bois de l’oubli industriel, ceux qui déterrent les pépites d’un Klondike d’archives de musique massivement produite et reléguée depuis l’avènement du disque. Il faut retrouver, documenter, numériser, remastériser, célébrer et partager avant que tout ça ne brûle dans les incinérateurs.
Le gars qui bosse à la boutique est un assidu devenu le compagnon des clients et le prêtre du lieu. Il étudiait la musico, auparavant. Il écoutait de tout, électiquement, du rock, du jazz, du baroque/classique dira-t-on aux mécréants. Oui le jazz et le reggae sont mal compris, mais il faut remonter aux sources, aux racines. De rares enregistrements sont encore à découvrir ; il est allé jusqu’aux archives de la Nouvelle Orléans et aux marchés de Trinidad pour les trouver, pour les écouter. Après Katrina, la Nouvelle Orléans était en ruines, flottait à surface du sol. Il y est allé pendant ses congés, tout de même, et il a aidé. Là il a rencontré de nombreux jeunes musiciens qui connaissaient moins bien que lui. Il parle de reprendre des études, en musique, ou d’écrire un livre sur les Sources, mais pour le moment, il écume les rayons, remet les disques en place, lutte contre la poussière de papier et de vinyl dans les bacs de bois. Il écoute, converse, fait son travail.
Dire qu’à un moment le patron a pensé à fermer ! Aujourd’hui, on le voit peu ; il prend des vacances, s’enferme chez lui. On se demande à la boutique s’il est devenu fou, petit à petit.
Amsterdam-Amersfoort, 31 mai 2012.