Le magasin de partitions

par Frédéric Benhaim

Dans tant de vies ordinaires et quelquefois difficiles, il y a un petit peu d’aisance. C’est l’exercice quotidien d’un instrument de musique ; son jeu occasionnel, et son pendant, le travail de la partition pour s’améliorer.

Ici, le calme règne, car il faut que les clients puissent parcourir les notes et se les figurer, entendre le tintement des fa, la, mi, do, ré, sans qu’un bruit extérieur ne vienne les déranger. De toutes façons, au-dehors, nous allons et venons dans le bruit. C’est à ne plus entendre la musique, aux deux sens du terme, car les terribles erreurs de la musique pop donnée à tout bout de champ (aux courses, à la gare, c’est insupportable !) semblent nous poursuivre jusqu’à se neutraliser dans un brouhaha que nous n’entendons plus, sauf lorsque nous nous apercevons que nous avons retenu la chanson que nous n’aimons pas. Ici, rien de tout cela, pas même de musique instrumentale. Il faut pouvoir se concentrer ; et puis, rêver ; découvrir les notes ; en avoir envie ; regarder le livret… C’est tout cela qui se joue sur du papier à musique.

Plusieurs sections se font concurrence.

Beethoven est là, indique le vendeur. Si vous regardez bien vous trouverez les Variations. Oui, c’est cela. Ah oui, très ancienne. Mais vous savez, le pianiste de l’Opéra vient souvent et il a remarqué celle-ci. Ah, non, Liszt c’est par là-bas.

Le voisinage des compositeurs, c’est cela que cherchait à tout prix le jeune homme qui travaile ici. Tant qu’à faire de la musico, à n’être qu’un amateur—c’est tout à fait noble et tout à son honneur, disent les gens bien intentionnés—, autant ne pas être au chômage, autant rester dans le domaine. Je n’ai jamais très bien joué, de toute façon, mais j’aime la musique. Le voici. Il renseigne, et aide les débutants un peu trop ambitieux à se repérer parmi les phrases. Euh, Mozart, à ce stade, c’est un peu précoce : prenez plutôt le Clarinettiste débutant. Tentez le Piano à quatre mains, c’est un bon manuel pour progresser. Oui, cela vient avec un CD. Ah vous n’avez plus de lecteur. Tenez je peux vous le graver.

On peut désormais acheter des partitions en ligne, mais voyez-vous, ce n’est pas pareil. Avant de jouer, il faut travailler la partition. C’est comme un texte. Et même si elle se tourne toute seule, elle ne va pas se travailler toute seule. C’est pour cela que, chez lui avec son saxophone, notre jeune musicien employé de caisse fait les deux. Il prend les partitions papier puis la tablette, ça réunit le meilleur des mondes.

Toute la journée, de la caisse, on voit des bacs et des rayons de partitions et des passionnés fouiller à travers tout cela. A l’occasion, rompant le silence, on joue de la musique rare, lorsqu’on a une partition à promouvoir et qu’on trouve que telle ou telle composition a été trop promptement oubliée. On s’amuse ; avec cela, si l’entreprise pouvait marcher, ce serait parfait. Malheureusement les temps sont durs ; il faut compter sur la relance (des cours de musique ?), ou peut-être sur le chômage : si tout le monde est au chômage (dit un client) nous n’aurons plus que la musique ! Cela ne rassure pas notre vendeur. Ce qui est heureux, c’est que les passionnés, qu’ils soient débutant, amateurs, professionnels, professeurs du Conservatoire… râlent peu sur les prix. Pour un vendeur, c’est confortable.

Le prix c’est le prix.

 

Aux amis dont la musique illumine la vie.

A Daniel Jost.

A Anne Dewees.

Paris le 8 août 2014