Le magasin à 1 euro

par Frédéric Benhaim

La crise n’en finit pas. Elle dure, et d’ailleurs, on n’y pense même plus ; on a oublié le vocable « crise » pour désigner la vie telle qu’elle est devenue, parce qu’au fond, ça sous-entendrait que ça va changer sous peu. Il faut, dit-on, ceci, il faut cela. Et pour le moment, ça dure. C’est vrai que depuis 2008, il y a plus de monde au magasin à un euro, mais à part ça, il y a le fond de commerce habituel : les passionnés de la bonne affaire. Faire des affaires, vous savez, c’est une dromgue. C’est difficile de s’en passer une fois qu’on est lancé. C’est une façon de remporter de petites victoires, contre la vie, le monde, les marges. Le magasin, donc. Comment cela se présente ?

Rien n’est perceptible en vitrine, si ce n’est du jaune, du rouge, des couleurs criardes qui vous indiquent que la solde est ici. Laissez tomber le magasin suivant. C’est ici que ça se passe. En grand, les lettres LIQUIDATION et TOUT À UN EURO renforcent le message. Dedans, ce n’est que bricoles, babioles et objets les plus confus. La grande difficulté de cet endroit c’est la profusion absolue, la variété inattendue des objets sans rapport qui se côtoient. Vous en avez besoin, ou non : là n’est pas la question. Plus tard, vous les jetterez en déménageant, ou en vidant vos placards à l’occasion d’un nettoyage de printemps. Ah, ce qu’on peut accumuler !, direz-vous. Mais vous ne repenserez plus à ce petit plaisir que vous aviez à acheter ce stylo Mickey, cette brosse, ce couteau-fourchette en plastique, ou encore ces ballons d’anniversaire qui n’ont jamais servi.

Car à l’intérieur, tout est en bacs, et posé sur des rayons chargés d’une diversité qui épuise le cerveau. Trop de choses à appréhender. Bien sûr qu’il y a des articles à plus de 1 euros : cette horloge pirates de la Caraïbe, ce ballon de foot décoré de plantureuses créatures (pas du tout macho, hein), ou encore cet ensemble séche-cheveux-permanente-coloriage-brushing. Ca c’est un produit phare, ça marche bien. Car il y a les produits d’appel, à 1 euro, en l’occurrence, la moitié du magasin, et il y a quelques articles qui nous font rêver, et monter un peu. Après tout, on a fait tant d’affaires ! l’ironie de l’histoire, c’est que pour un produit payé un euro, on finit par dépenser plus qu’ailleurs. On se rattrape sur le volume, fait observer le patron. Le volume, le volume. Tant de choses à produire, tant de choses à entretenir, tant de choses à détruire. Il paraît qu’en 1900 une maison possédait une centaine d’objets ; aujourd’hui elle en contient dix mille. Assurément, le magasin, lui, en possède cent mille, à un euro, ça reste pas cher ?

Dans le sillon rhodanien, 2 juin 2014.